JASMIN, UNE AUTRE SYRIE
Edition 4
Oct/Nov/Déc 2018Jasmin, Une Autre Syrie
Revue trimestrielle
En ces temps troublés, il nous a paru indispensable d’offrir une autre vision de la Syrie à travers sa culture et la création artistique de ses artistes.
Jasmin, Une Autre Syrie est née de la rencontre de personnes venant d’horizons et de cultures différents : Français, Franco-Syriens et Syriens, désireux de manifester ainsi leur solidarité avec la Syrie et ses habitants.
L’accent sera mis sur les œuvres artistiques des artistes syriens, de l’histoire de la Syrie ( ainsi que ses liens avec la France ), sa littérature et poésie, sa diversité et richesse culturelles.
Jasmin, Une Autre Syrie se veut être une passerelle entre deux langues, deux cultures, deux mondes.
Cette revue au financement indépendant et à but non lucratif paraîtra trimestriellement en ligne sur notre site Web syriaartasso.com, et annuellement en édition papier. Elle sera éditée partiellement en langues française et anglaise.
Kazem Khalil, des Rivières de Couleurs
Au départ il y a l’homme au sourire jovial, aux yeux remplis de vécu et au regard qui se moque de la vie et des aléas du destin. Si Kazem se réfugie dans la bonne humeur et le rire, c’est pour exhorter l’allégresse à prendre le dessus sur l’éloignement, la guerre et le désordre du monde.
Et puis il y a l’artiste au talent incontestable qui fusionne avec l’homme pour traduire milles émotions sur des toiles colorées. Il y a des visages, des traits étrangement familiers, un cri, un étonnement, une joie… des points qui se rassemblent petit à petit comme les instants qui tissent la vie. Soudainement les images apparaissent, aussi éclatantes qu’un rayon de soleil se frayant un chemin entre les nuages, des silhouettes qui crient la liberté à la face du monde et des couleurs qui appellent à Vivre.
Kazem était encore en Syrie quand ses œuvres, autant que son personnage, avaient interpellé Michel Archambault. A Paris, ce dernier se presse de montrer son travail à Francis Bacon en disant : « C’est quelque chose de ta famille ». Après avoir considéré le travail de l’artiste syrien, Bacon alors répond : « Mais il n’y a pas de famille, il y a lui, et lui seul, ce créateur qui va se défendre par lui-même, cet homme va faire son propre chemin ».
Bacon avait vu juste, Kazem a fait son propre chemin et le continue. Les personnages qu’il peint sont la réincarnation de l’âme humaine dans son entière splendeur mais aussi dans son entière fragilité. Dans ses tableaux, il y a des lieux sans adresse habités par des événements qui ne cessent de se reproduire et des émotions qui, par cette expression artistique libératrice, deviennent éternelles.
Rien ne peut arrêter les rivières de couleurs de Kazem Khalil, qui semblent couler depuis des millénaires dans le sang de l’artiste, et qui sur la toile dispersent une impression de mouvement. Ce sont des émotions vivantes qui résument le passé et le présent, non seulement ceux de l’artiste mais de tout notre Orient de rêves et de sang. Son identité ne s’arrête pas à une culture unique mais transcende toutes les frontières et résume les époques par une expression profondément universelle.
« Un délire particulier circule dans l’espace de la toile, comme une anticipation ailée dont l’espace de vol nous attire et nous invite à nous installer, à aller au fond des choses. Voyant l’espace, les ailes nous séduisent et nous incitent à voler librement », c’est ainsi que s’exprima le grand poète Adonis au sujet de la série « Métamorphoses » de Kazem.
Le poète voit en ces œuvres des navires fendre le large, qui ne cherchent nullement à accoster mais qui voguent et divaguent au milieu des vagues, là où la liberté prend une dimension universelle. Un « tissu de nuage » émane de cette lumière au bord des tableaux, comme pour soulever le spectateur au plus haut point où il est possible d’observer l’esprit et ses tourments.
Dans l’art de Kazem Khalil, chaque émotion détient une beauté distinguée que l’artiste excelle à communiquer au spectateur de par la grâce des couleurs, variées mais cependant unies comme des gouttes d’eau. Des gouttelettes, qui, telles une rivière tantôt sereine et tantôt agitée, éclaboussent l’espace de nos âmes, à l’image de ces différences qui forment notre humanité.
Texte par Khaled Youssef
Editing par Danii Kessjan

Les Leaders Mondiaux En Tant Que Réfugiés
Pour une raison importante, un artiste syrien peint les dirigeants du monde en tant que réfugiés
« Ces dirigeants qui sont en partie responsables du déplacement des Syriens, peut-être pourront-ils ressentir ce que c’est que d’être vulnérable. »
Abdalla Al Omari, peintre, cinéaste et artiste de performance syrien, peint les dirigeants du monde en tant que réfugiés, dans le but d’humaniser la crise des réfugiés dans son pays d’origine, tout en plaçant ces puissants leaders dans la lumière de la vulnérabilité.
L’œuvre The Vulnerability Series, exposée à la Galerie Ayyam en 2017, comprend des peintures de dirigeants mondiaux tels que, entre autres, le président Donald Trump, l’ancien président Barack Obama et le président russe Vladimir Poutine, lequel se montre épuisé et abattu alors qu’il mendie de l’argent dans la rue.
Al Omari, qui a quitté la Syrie après le début de la guerre syrienne en 2011, a obtenu l’asile en Belgique. Il vit actuellement à Bruxelles et a commencé à travailler sur son œuvre The Vulnerability Series il y a environ trois ans et demi.
Il considère cette série de peintures comme ayant un aspect de l’art de la propagande plus traditionnel, expliquant qu’il souhaitait « montrer un côté totalement différent des dirigeants connus » et « les amener très loin de la façon dont la propagande classique les imaginerait. »
« Je les vois donc pauvres, je les vois vulnérables », poursuit-il. « Cela partage en fait la même définition de la propagande, qui présente des faits sélectifs pour encourager un contenu narratif particulier, qui pourrait éventuellement s’avérer faux. »
La motivation initiale pour la création de l’œuvre The Vulnerability Series est venue de la frustration ressentie par Al Omari en tant que réfugié, mais elle s’est rapidement métamorphosée en quelque chose de plus profond, voire même de plus intense. « En tant qu’artiste, j’ai toujours été intrigué par l’idée romantique de vulnérabilité et par l’impact que celle-ci peut générer. », dit-il. « Tout en dépeignant mes sujets et en développant la série, je suis finalement parvenu à la nature paradoxale de l’empathie, et en quelque sorte mon objectif s’est déplacé d’une expression de colère que j’avais en moi, et dont je pensais qu’elle était le déclencheur, à un désir plus vif de désarmer mes personnages et de les imaginer en dehors de leurs positions de pouvoir.»
Comme on peut le voir dans les peintures d’Al Omari, les personnages représentés sont tout sauf puissants. Sur une image, par exemple, le président Trump est représenté avec un enfant dans ses bras alors qu’il porte tous ses effets personnels, y compris une photo de famille, entre ses mains et sur son dos.
« Je voulais les priver de leur pouvoir, non pas pour me servir et soulager ma douleur, mais pour leur rendre leur humanité et pour donner au public un aperçu de ce que le pouvoir de la vulnérabilité peut réaliser », explique Al Omari sur comment il a mis ces personnages puissants dans une lumière différente. « Au départ, c’était essentiellement un désir personnel d’imaginer à quoi ressembleraient ces personnalités supposées éminentes si elles étaient dans la peau de réfugiés. »
Bien que chaque leader mondial soit traditionnellement perçu comme étant puissant de son plein droit, Omari a voulu chambouler cette idée. « Je voulais les voir comme une masse désarmée, pas comme des personnalités influentes, telles qu’on on les perçoit », dit-il. « Je voulais découvrir à quel point ils pourraient encore faire preuve de grandeur ou de dignité, ou si finalement il ne leur resterait ni l’une ni l’autre. »
Et même si The Vulnerability Series contient quelques tableaux avec des personnages multiples, – dont l’un représente l’ancien président Barack Obama, l’ancien Premier ministre britannique David Cameron, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, la chancelière allemande Angela Merkel et d’autres personnalités faisant la queue dans une file de réfugiés – , le fait de créer des peintures représentant des personnes individuelles était particulièrement important pour Al Omari, en raison de « la dépersonnalisation » des récits ou histoires de réfugiés dans les médias.
« Si vous racontiez une histoire d’une manière individuelle, alors vous établiriez un contact personnel de base avec ces personnes », explique-t-il.
Et en ce qui concerne le choix des dirigeants mondiaux ? « Je me suis trouvé dans l’obligation émotionnelle et morale de m’impliquer et de transmettre un message à ces dirigeants », explique Al Omari. « Ces dirigeants qui sont en partie responsables du déplacement des Syriens, peut-être pourront-ils ressentir ce que c’est que d’être vulnérable, lorsqu’ils verront le reflet de la vulnérabilité dans un miroir, lorsqu’ils la verront en eux-mêmes. »
Traduction française : Danii Kessjan
◊ Abdalla Al Omari, peintre et cinéaste syrien, né en 1986 à Damas, Syrie ◊
Débutant sa carrière à Damas peu après le déclenchement du conflit en Syrie en 2011, les peintures récentes d’Abdalla Al Omari dépeignent les expériences de civils, en particulier d’enfants, pris dans les feux croisés de la guerre.
Al Omari a obtenu un diplôme en littérature anglaise de l’Université de Damas tout en fréquentant l’Institut des Arts Visuels Adham Ismail. Plus tard, il a travaillé avec des artistes peintres syriens pionniers, tels que Ghassan Sibai et Fouad Dahdouh.