JASMIN, UNE AUTRE SYRIE

Edition 1
Jan/Fév/Mars 2019

Jasmin, Une Autre Syrie
Revue trimestrielle

En ces temps troublés, il nous a paru indispensable d’offrir une autre vision de la Syrie à travers sa culture et la création artistique de ses artistes.

Jasmin, Une Autre Syrie est née de la rencontre de personnes venant d’horizons et de cultures différents : Français, Franco-Syriens et Syriens, désireux de manifester ainsi leur solidarité avec la Syrie et ses habitants.

L’accent sera mis sur les œuvres artistiques des artistes syriens, de l’histoire de la Syrie ( ainsi que ses liens avec la France ), sa littérature et poésie, sa diversité et  richesse culturelles.

Jasmin, Une Autre Syrie se veut être une passerelle entre deux langues, deux cultures, deux mondes.

Cette revue au financement indépendant et à but non lucratif  paraîtra trimestriellement en ligne sur notre site Web syriaartasso.com, et annuellement en édition papier. Elle sera éditée partiellement en langues française et anglaise.


Oeuvre de Houmam Al Sayed

L’artiste Houmam Al Sayed brise le poids du silence

Les œuvres du plasticien Houmam Al Sayed, artiste très apprécié du monde de l’art, dénoncent le poids d’un silence assourdissant qui déchire l’humanité, inscrivant ainsi son travail au cœur de l’actualité.

Houmam Al Sayed

De prime abord, c’est la largeur des têtes, voire leurs disproportions qui frappent le spectateur. A y regarder de plus près, le personnage central hantant les œuvres de l’artiste, Citizen Zero, ressemble à s’y méprendre à Houmam Al Sayed lui-même. Son personnage récurrent a des allures de Gavroche : béret vissé au sommet du crâne, allure dégingandée, godillots fatigués, mine triste. Un misérable des temps modernes, en somme !

Citizen Zero est bien l’alter ego d’Al Sayed, une forme d’allégorie de ses souffrances. Comme lui, l’artiste syrien a quitté son pays d’origine et a pris le chemin de l’exil.

Mais derrière Citizen Zero, un ciel coloré le laisse inamovible, silencieux et cependant crissant. Dans la plupart des oeuvres d’Al Sayed et même lorsque le sujet est accompagné d’autres personnages, une solitude palpable entoure ledit Citizen Zero . Et s’il devenait vivant, explique Al Sayed, son cerveau serait anatomiquement comprimé au huitième de la taille d’un cerveau humain.

C’est dans les époques de tensions et de contradictions sociales, lorsque des promesses de libération se heurtent à des mécanismes de répression sociale que les artistes ont tendance à recourir à la représentation d’un trouble psychique par le biais du corps.

Il y a de l’inquiétude dans les yeux de ceux qui traversent ses toiles. Mais aussi des bateaux en papier, comme des rêves de jours meilleurs. Même entouré de ses semblables, la solitude imprègne le travail d’Al Sayed. Néanmoins son œuvre n’est pas désespérée. Reste dans le regard de ses personnages, une lueur d’espoir qui jaillit de leurs yeux.

A l’instar d’un Egon Schiele, Houmam Al Sayed choisit l’expressionnisme pour illustrer les névroses des hommes, exacerbées par les fêlures d’un monde contemporain nourries par l’injustice. Les personnages difformes expriment à la fois l’oppression et la tyrannie. Al Sayed associe la satire à la misère sociale et au malaise émanant de l’injustice pour illustrer de manière incisive ses étranges personnages.

Grand admirateur du poète syrien Al-Maghout, Houmam Al Sayed lui rend hommage en empruntant sa marque distinctive, son béret. Les deux artistes ne partagent pas uniquement ce point commun. Tous deux livrent un combat pour la liberté et la justice à travers une œuvre militante.

Houmam Al Sayed (né en 1981 à Damas, Syrie) a obtenu son diplôme du département de sculpture des Beaux Arts de Damas en 2003. Il a commencé à exposer son travail dès son plus jeune âge. En 1998, à l’âge de dix-sept ans, il a participé à une exposition de peinture à l’Université Teshrin de Lattakia. Depuis lors, il a exposé partout en Syrie et participé à des expositions collectives et à des symposiums dans le monde arabe et en Europe.

Edition et traduction française : Danii Kessjan

 


 

L’atelier de Bahram Hajou au Hawerkamp

Baillonné – Pas de Dialogue

Bahram Hajou – Un artiste aux racines syriennes

Il expose ses toiles dans le monde entier. Bahram Hajou est l’un des peintres les mieux cotés de Münster en Allemagne. Hajou a des racines syriennes.

Ses peintures ne laissent personne indifférent. Lorsque le peintre Bahram Hajou a recours au pinceau et à la peinture, il traite de l’incapacité des gens à nouer des relations pacifiques. Il s’agit principalement de violences psychologiques et physiques et de leurs nombreuses facettes. L’agression ouverte et cachée, la violence à l’égard des femmes, l’oppression et le viol de femmes, la guerre et la lutte des sexes dans les relations de couple et les atrocités que subissent les personnes lors de conflits armés.

En 2017, Bahram Hajou a inauguré une exposition de ses peintures dans l’État de Bahreïn, dans la région du Golfe. « Gagged – No Dialog »,  « Baillonné – Pas de Dialogue » en était le titre. Sur la page de garde du catalogue, un homme bâillonné par la main d’un autre. Ses peintures montrent le mutisme féroce, impuissant et désespéré des couples. « Sa nudité », dit Hajou, « me dévoile sa vulnérabilité ». En fait, il s’étonne que dans le pays sunnite, on puisse montrer ses créations provocantes : « Ils ont même acquis des œuvres pour leur musée. »

L’atelier de Bahram Hajou au Hawerkamp

Bahram Hajou vit et travaille à Münster depuis 40 ans. Au Hawerkamp, il dispose d’un vaste atelier inondé de lumière. C’est ici qu’on y retrouve souvent l’homme petit et exubérant. En guise d’image de marque, il porte, été comme hiver, un classique chapeau Fedora en feutre brun. Il ne le retire que rarement, même dans son atelier, il reste presque toujours vissé sur sa tête.

Il a lui-même depuis longtemps la citoyenneté allemande, ainsi que ses quatre enfants, bien entendu, qui sont issus de deux femmes différentes. Son fils aîné, Ovid Hajou, est co-entraîneur au FC Ingolstadt. Hajou est le descendant de grands propriétaires terriens syriens. Toute sa famille a d’ores et déjà émigré et vit en Suède, en Allemagne et aux États-Unis.

Le chemin de Bahram Hajou à la peinture a été très sinueux. Né en 1952 à Deruna au Nord de la Syrie il la quitte dans les années 70 pour l’Irak et à partir de 1972 pour faire des études d’ingénieur au Génie Civil à Nauperdan et Sulemanie. Une année plus tard il part pour Bagdad pour y étudier l’Art. La guerre l’oblige en 1974  à fuir vers Berlin en passant par Prague.  A partir de 1976 il fait, dans  un premier temps, des études d’Archéologie à l’Université de Münster pour ensuite étudier à partir de 1977 le Sport et la Pédagogie au Collège d’enseignement  pédagogique, également à Münster. En 1983 il termine ses études et obtient son diplôme. Après un cours Intermezzo au Collège Gelsenkirchen de Ückendorf il commence, au début des années 90, à se consacrer uniquement aux Beaux Arts.

A l’Académie des Arts de Münster il étudie avec des personnes telles que Lüpertz, Immendorf, Kuhna. Après l’obtention de son diplôme, il est étudiant en Maîtrise du professeur Norbert Tadeusz. « L’Allemagne », déclare-t-il, « a toujours été le pays des meilleurs artistes du monde. Des géants ! ».

L’atelier de Bahram Hajou au Hawerkamp

Ses peintures impressionnantes sont subtiles et énigmatiques. Leur message est généralement crypté et souvent enfoui sous plusieurs couches de peinture. Hajou est un maître de la peinture par couches superposées. La plupart de ses peintures sont des lamentations – à la fois douloureuses et furieuses, sincères et compatissantes. Ses peintures se construisent en plusieurs strates. Elles sont le résultat d’un processus, dont le cours peut être suivi et la douleur pressentie, renouant ainsi avec la matérialité et la gestualité de la peinture elle-même. En même temps, ces œuvres possèdent une esthétique bouleversante.

Mais si Hajou peint contre l’oubli et la répression, il peint aussi l’humain dans sa solitude. Son art opère une translittération dans un système de symboles et dans une continuité de motifs : visages, postures corporelles, espace vide, tours inaccessibles, maisons et paysages délabrés. Sur un fond caractérisé par des teintes subtiles ponctuées de touches de couleur soudaines, la figure humaine regarde fixement ou se détourne, le langage corporel exprimant une gamme d’émotions : amour, peur, solitude, anxiété, compréhension, liberté et dépendance.

Aujourd’hui, l’œuvre de Bahram Hajou est célèbre dans le monde entier et présentée dans de nombreux musées. Depuis lors, il est considéré comme l’un des plus grands peintres figuratifs de notre époque. Et il n’y a guère d’artistes au Pays de Münster qui possèdent autant de contacts internationaux et dont les peintures sont exposées dans tant de pays.

L’atelier de Bahram Hajou au Hawerkamp

« Où que je sois, je représente Münster », explique le peintre, dont la liste des expositions fait le tour du monde entier : Pays-Bas, Angleterre, Hongrie, Arabie Saoudite, Turquie, États-Unis, pour ne citer que quelques pays. En 2004, avant la guerre, il expose en Syrie. En 2013 à la White Box Gallery à New York. En 2014, il reçoit le « Prix Henry Matisse » au Musée Grimaldi à Paris. Il est en outre sélectionné au « Salon d’automne », l’une des galeries les plus prestigieuses de Paris, lors d’une exposition collective qui se déroula sur le thème de l’Exil. « En fait, je suis constamment sur la route », déclare Hajou.

Et quand peint-il ? Quand il est à Münster, toujours le soir et jusque tard dans la nuit: « J’ai besoin de mon cognac et de mes cigarettes, alors je suis productif. »

Le style de Bahram Hajou fait référence au néo-expressionnisme. Ses mentors sont Ernst-Ludwig Kirchner et Max Pechstein, dont les œuvres sont également exposées au musée LWL – Museum für Kunst und Kultur sur la Domplatz, à Münster. Mais l’expression de Hajou est sans précédent. Son grand sujet, les conflits du couple, l’émeut particulièrement depuis sa séparation avec sa première femme: « A cette époque, j’ai peint les images les plus fortes de  ma vie. »

Hajou éteint sa cigarette et enfile son indispensable Fedora. L’atelier au Hawerkamp est sécurisé pour dix ans. Le peintre a des projets : « Je veux devenir encore plus expressif. Je suis dans une quête. »

Edition et traduction française : Danii Kessjan

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Nidal Khaddour – Mémoire de Prismes

Source : artsy.net
Traduction française : Danii Kessjan

Pour la première fois à la galerie Fann A Porter à Jumeriah Dubai, Nidal Khaddour a présenté, de septembre à octobre 2018, une exposition solo intitulée Mémoire de Prismes (Spectrums in Memory), présentant les dernières peintures de l’artiste. Rassemblant les dernières œuvres de l’artiste, l’exposition a exploré la perception, l’impression et la projection humaines à travers une collection d’œuvres abstraites en formats grands et moyens. Khaddour peint des paysages équivoques de champs ouverts et de montagnes, de ciels nocturnes, de rues de ville et d’intérieurs. Côte à côte et de loin, les œuvres partagent évidemment la technique unique de l’artiste, une construction stratifiée de peinture, qui, tout en maintenant une surface optiquement plane dépeint toujours les différentes profondeurs des scènes peintes.

Toutes ses œuvres présentent un élément de la nature. S’appuyant sur la nature de sa ville de résidence, Al Ain, et similairement sur la nature de son pays d’origine, la Syrie, Khaddour fusionne l’abstraction géométrique avec une palette de couleurs qu’il décrit comme étant la sienne propre. Son choix de couleurs contraste avec les formes géométriques utilisées pour représenter les différents décors de chaque œuvre. Même si elles sont plus claires et plus douces que les lignes rigoureuses, les couleurs de chaque peinture sont ce qui est pris en charge et qui donne aux œuvres leur qualité globale.

Les œuvres précédentes de Khaddour le voyaient peindre plus librement, avec des touches plus visibles et une représentation plus réaliste des scènes – apparemment moins structurée. Dans les œuvres les plus récentes présentées dans cette exposition l’artiste tend à s’orienter davantage vers l’abstraction, avec un contrôle renforcé de son travail au pinceau. Cependant, cette abstraction géométrique n’est pas perçue comme une autolimitation claustrophobe, mais bien comme une progression naturelle de la pratique de l’artiste.

Le spectateur est étrangement rappelé à la composition ouverte et à la lumière des peintures impressionnistes à travers leurs palettes et leurs touches légères, même si les toiles de Khaddour sont couvertes de formes aux angles vifs, de lignes droites et d’espaces clos. Les œuvres dégagent une respirabilité et un air de nonchalance qui permettent au spectateur de prendre du recul et de voir les belles facettes de ce qui est généralement un paysage ou un ciel. A travers leur travail, les impressionnistes ont tenté de capturer sur la toile un moment éphémère, une fraction de seconde de la vie : l’impression. Et c’est de la même manière que Khaddour capture les impressions de ses moments dans la nature, traduisant ses sentiments et son état d’esprit dans l’ici et le maintenant à travers une palette de couleurs lumineuses, comme le révèle ses œuvres actuelles.

Sa peinture ‘Lilac Mountain’ est composée de formes géométriques superposées, aux arêtes vives, dans différentes teintes de pourpre, allant vers des roses plus pâles et plus chauds au fur et à mesure que l’œil se dirige vers le sommet de la montagne. L’artiste peint l’arrière-plan dans des dégradés de lilas pastels et de gris rehaussés de lilas, éliminant ainsi le contraste brutal entre la montagne et le ciel, tout en permettant à la montagne de rester fière au premier plan. Le style constructiviste confère à la montagne une personnalité presque mécanique, tout en offrant une unification entre les attributs humains et les caractéristiques robotiques.

Khaddour poursuit cette même technique dans ‘The Countryside’. La toile est fendue horizontalement à parts presque égales, la partie inférieure est peinte dans des nuances de tons terreux rouges et bruns représentant un paysage de campagne avec ce qui ressemble à des collines, des maisons et la terre entre les deux. Les lignes diagonales au premier plan se déplacent les unes vers les autres au fur et à mesure que l’œil monte sur la toile pour créer une impression de profondeur. Cela contraste avec les formes verticalement divisées dans le ciel, qui donnent une impression superposée du ciel dominant la campagne.

Avec ses dernières œuvres, l’artiste espère créer un espace permettant au spectateur d’échapper à la négativité du monde qui l’entoure, – aux guerres, aux catastrophes naturelles et à tout ce que l’on voit à la une des nouvelles et qui est constamment alimenté par différents médias modernes –, et d’entrevoir la positivité et l’espoir qu’il capture dans les moments éphémères qu’il peint.

À propos de l’artiste

Le peintre Nidal Khaddour utilise son pinceau pour créer une œuvre qui met en valeur l’esthétique  en puisant dans des inspirations non conventionnelles, principalement l’impact de la situation sociopolitique qui l’entoure. Les peintures voient l’unification de l’abstraction géométrique avec des couleurs rappelant les peintures univers. Khaddour explique que « la tristesse le pousse à créer de la joie. [Il] a le désir de faire voir au monde la beauté plutôt que la laideur. »

Khaddour est membre de l’Emirates Fine Arts Society et possède une expérience pédagogique en tant que professeur d’art aux ÉAU et en Syrie. Ses œuvres ont été exposées dans des expositions individuelles et collectives, notamment l’exposition New Members Exhibition, Emirates Fine Arts Society, Sharjah (2017); 1001 Nights, La Parole Art Gallery, Emirates Palace, Abu Dhabi; Life Through Art, La Parole Art Gallery, Al Ain Rotana (2017); 12 Voices, Rotana Beach Hotel (2016); Shots of Nature and Human, The French Alliance of Abu Dhabi (2015); Future Identities, Palazzo Radetzky, Milan (2015); et Syrian Art & Culture, Ismaili Cultural Center (2015).

Khaddour est né en 1979 à Homs, en Syrie. Il a obtenu son Bachelor de la Faculté des Beaux-arts de l’Université de Damas en 2009. Il vit et travaille à Al Ain, aux ÉAU.