JASMIN, UNE AUTRE SYRIE
Edition 1
Jan/Fév/Mars 2017Jasmin, Une Autre Syrie
Revue trimestrielle
En ces temps troublés, il nous a paru indispensable d’offrir une autre vision de la Syrie à travers sa culture et la création artistique de ses artistes.
Jasmin, Une Autre Syrie est née de la rencontre de personnes venant d’horizons et de cultures différents : Français, Franco-Syriens et Syriens, désireux de manifester ainsi leur solidarité avec la Syrie et ses habitants.
L’accent sera mis sur les œuvres artistiques des artistes syriens, de l’histoire de la Syrie ( ainsi que ses liens avec la France ), sa littérature et poésie, sa diversité et richesse culturelles.
Jasmin, Une Autre Syrie se veut être une passerelle entre deux langues, deux cultures, deux mondes.
Cette revue au financement indépendant et à but non lucratif paraîtra trimestriellement en ligne sur notre site Web syriaartasso.com, et annuellement en édition papier. Elle sera éditée partiellement en langues française et anglaise.

La Révolution des Roses : Femmes Artistes Syriennes
Texte par Khaled Youssef
Traduction de l’anglais par Danii Kessjan
Pour comprendre l’évolution des femmes artistes syriennes, il est important de commencer par le rôle des femmes dans la société syrienne au cours de l’histoire.
Les femmes en Syrie ont toujours été et demeurent encore un synonyme et un symbole pour la terre natale, la générosité, le pouvoir et la tendresse.
Commençons par le nom « Syrie / Souria ». En arabe – de même que dans la langue anglaise et dans la littérature, par exemple – le nom d’un pays ou d’une nation a une connotation de genre avec l’utilisation d’un pronom animé. Ainsi, l’utilisation du genre féminin pour un pays éclaire son esprit, son âme et son anima. C’est probablement à cause des qualités nourricières attribuées à une nation, tout comme nous le faisons avec l’alma mater versus la patrie. Le nom Syrie est à la fois féminin en arabe et en araméen. Et le mot « femme», qui est « Imraa » en arabe, vient du mot « maraa » en araméen signifiant la maîtresse ou la sainte. Jusqu’à présent, dans l’arabe moderne syrien standard, nous disons « marti » pour dire « mon épouse », qui vient de la même origine et signifie « ma dame » ou « ma maîtresse ». L’arabe est une évolution de la langue araméenne dominante dans la région du Levant (Proche Orient) entre 1500 av. J.-C. et le VIIe siècle.
En arabe, le mot « langue » est féminin, mais aussi « liberté », « révolution », « nation », « étoile ». Dans notre langue, le « soleil » est féminin aussi, tandis que la « lune » est masculine, peut-être parce que la lune prend sa lumière du soleil, comme un homme a besoin de la lumière d’une femme pour être un être humain véritable.

Dans la Syrie antique, les déesses-mères étaient les divinités les plus importantes et les plus implorées par les gens pour obtenir toutes les belles choses dans la vie : l’amour, la fertilité, le bonheur, la beauté. Les divinités féminines les plus importantes au cours des siècles sont très connues : Vénus et Aphrodite, déesses de l’amour, de la beauté, du plaisir et de la procréation. Cependant, il semble que nous connaissions davantage ces déesses hybrides au détriment des déesses originales.
Si nous revenions en 4000 av. J.-C. en Syrie et en Irak, la Mésopotamie était l’une des premières civilisations au monde à avoir de réelles structures gouvernementales et sociales. Les Mésopotamiens croyaient qu’ils étaient les diligents des dieux et que la terre était infusée d’esprits et de démons. Les femmes de Mésopotamie jouissaient de droits égaux et pouvaient posséder des terres, demander le divorce, posséder leur propre entreprise et conclure des contrats commerciaux. Les premiers brasseurs de bière et de vin, ainsi que les guérisseurs dans une communauté, étaient d’abord des femmes. Ainsi, nous pouvons voir l’apparition de la déesse « Inanna » qui était l’ancienne déesse sumérienne de l’amour, de la procréation ainsi que de la guerre, qui plus tard, entre autres, a été identifiée avec la déesse akkadienne « Ishtar », et plus tard encore avec la déesse phénicienne « Astarté », la déesse grecque « Aphrodite », et la déesse romaine « Vénus ». Elle a été également vue comme « l’Etoile Lumineuse du matin et du soir ».
Inanna (ou Ishtar) était aussi la Déesse Mère de la sagesse, apportant culture et connaissance dans les cités où elle était vénérée. Elle a également été appelée « La Reine du Ciel et de la Terre ». Le mythe raconte qu’Ishtar était amoureuse du dieu Tammuz que le Dieu de la Mort avait entraîné dans le monde des ténèbres. Ishtar décida de ramener Tammuz sur terre; elle traversa les « sept portes » en perdant tous ses pouvoirs et ses bijoux et le ramena à la surface de la terre. Depuis lors, la terre est devenue fertile et le printemps est apparu en avril (« Tammouz » en araméen et en arabe). Les historiens disent que c’était vers le 11 avril que les anciens Syriens célébraient le « Jour de l’Amour », ancêtre de la « Saint-Valentin » occidentale.


Plus tard dans l’histoire, une autre femme syrienne était sur le point de devenir la Maîtresse du Monde : Zénobie, reine de l’empire palmyrénien en Syrie qui a mené la célèbre révolte contre l’Empire romain. Zénobie est née vers 240 av. J.-C. et a grandi à Palmyre, ville magnifique et cité commerciale sur la Route de la Soie. Les sources classiques et arabes décrivent Zénobie comme une femme belle et intelligente, au teint mat, aux dents blanches nacrées et aux yeux noirs brillants. Très cultivée et parlant couramment le grec, l’araméen et l’égyptien, possédant une bonne maîtrise du latin, elle est censée avoir entretenu des salons littéraires et s’être entourée d’intellectuels, de philosophes, de poètes et d’artistes. Zénobie défia Rome par le fait de posséder plus qu’une simple indépendance : alors qu’elle contrôlait l’Egypte, elle se revendiquait la Maîtresse de l’Orient. Malheureusement, l’empereur Aurélien décida de la combattre et en sortit vainqueur. Cependant, Palmyre est demeurée dans l’histoire comme une des villes les plus magnifiques du monde, et sa reine est considérée comme une héroïne et un exemple quant à savoir à quoi le monde pourrait ressembler si celui-ci était régi par des femmes.
De nombreuses femmes syriennes sont également remémorées pour elles-mêmes ou pour leurs ancêtres, pour avoir régner à Rome. La plus célèbre femme syrienne est la grande Julia Domna (170 – 217 av. J.-C.), princesse d’Emesa (connue aujourd’hui sous le nom de Homs en Syrie), impératrice et épouse de l’empereur romain Septime Sévère (Lucius Septimius Severus) et mère des empereurs Géta et Caracalla. Julia Domna était célèbre pour ses prodigieuses facultés intellectuelles ainsi que pour son extraordinaire influence politique à Rome.


Plus récemment, Nazek Alabed (1887-1959) fut la première militante des droits des femmes en Syrie. Elle fonda le « Women’s Club de Damas », puis le premier syndicat féminin appelé « L’Etoile Rouge », ainsi qu’un magazine culturel féministe. Elle passa sa vie à lutter contre la colonisation et à réclamer des droits éducatifs pour toute la société. La continuité de ses actions contribua à créer le « Croissant Rouge » en Syrie.
1918 vit la fin de quatre siècles de domination ottomane qui fut une époque politique et religieuse extrêmement régressive et sexiste. La loi de la Charia imposait une ségrégation sévère envers les femmes, les discriminant systématiquement et les considérant comme des êtres humains et des citoyens de seconde classe, annihilant ainsi toute possibilité d’un soulèvement antérieur des femmes syriennes.
La première indépendance de la Syrie, après la fin de l’ère ottomane, dura deux ans avant le début du protectorat français.


Malgré tous les inconvénients de la colonisation française, le contact et l’échange entre la société française et la société syrienne furent hautement intéressants pour les femmes syriennes, comparés à la discrimination et à la ségrégation par lesquelles elles furent sanctionnées sous l’Empire ottoman. Si la liberté politique était difficile à obtenir, la liberté culturelle était une réalité quotidienne. Des peintres, des poètes et des écrivains français commencèrent à venir au Moyen-Orient, fascinés par les paysages et l’archéologie, ainsi que par les traditions et le mode de vie. Les étudiants syriens commencèrent à étudier en Europe, et de grandes sociétés intellectuelles sont apparues dans de nombreuses villes en Syrie. Les femmes étaient encouragées ou au moins autorisées à étudier, à créer, à faire partie du présent de la Syrie, et espéraient donc une indépendance plus grande dans le futur.
Depuis l’indépendance en 1946, les femmes trouvèrent rapidement une place importante dans la vie politique et culturelle. Le droit de vote fut obtenu par les femmes syriennes en 1948 et le suffrage féminin complet en 1953. Depuis lors, les femmes syriennes sont devenues enseignantes, universitaires, ambassadrices, dirigeantes politiques, ministres ou vice-présidentes au sein du gouvernement et de l’opposition.

Au cours de l’histoire, dans les différentes sous-cultures syriennes, une femme était mère, femme et sœur, mais symbolisait aussi la patrie, la victoire, le pouvoir, l’amour et la culture. Très tôt depuis les années 1950, la plupart des artistes syriens représentaient la figure de la femme dans leurs peintures : Louay Kayyali montrait la réalité de la condition féminine, Nazir Nabaa peignait les mythes et les symboles autour de la Femme, et Naïm Ismail dépeignait les femmes comme étant la part égale des hommes dans la société. La révolution féministe fut lancée par de merveilleuses femmes syriennes très cultivées, mais débuta aussi avec la quasi intégralité de la scène intellectuelle masculine en Syrie, tels que les artistes, les écrivains, les politiciens et les poètes.

Comment ne pas vouloir être libre en lisant alors Nizar Qabbani (1923-1998), le poète syrien de la Révolution des Femmes ? Il disait: « Rien ne peut nous protéger de la mort, si ce n’est les femmes, et d’écrire à leur sujet ». Pendant toute sa vie, Nizar n’a jamais cessé de combattre la société sexiste et d’inciter les femmes à rejeter les mauvaises traditions.
« Révolte, je veux que tu te révoltes
Résiste à l’histoire !
Remporte la victoire sur la grande illusion,
Révolte-toi contre l’Orient,
Qui te regarde comme une fête bacchanale.
N’aies peur de personne
Car le soleil est le cimetière des vautours.»
Qabbani voyait dans le corps féminin la somme de toutes les beautés de la création du monde, non seulement d’une manière esthétique, mais aussi comme une métaphore de la culture et de la connaissance.
« Déshabille-toi.
Pendant des siècles, aucun miracle
N’a touché la terre.
Déshabille-toi,
Je suis muet, mais ton corps sait
Toutes les langues… »

Dans un climat si propice, de nombreuses femmes syriennes commencèrent à montrer leurs talents. Colette Khoury fut une pionnière du féminisme arabe et exprimait son mécontentement à propos des contraintes sociales et de la condition féminine. Fille d’un grand politicien, Khoury était une amatrice d’art et une âme libre qui consacra son travail aux Droits des Femmes et à l’Amour. Elle dit une fois « J’ai toujours ressenti le besoin d’exprimer ce qui sourdait au plus profond de moi… la nécessité de protester, le besoin de crier… et puisque je ne voulais pas crier avec un couteau, j’ai crié avec mes doigts et suis devenue écrivaine. »
Au cours de cette passionnante période d’ouverture à la modernité et à l’art, après des siècles d’isolement, les femmes syriennes montrèrent à toutes les femmes arabes la façon de se libérer de toutes sortes de chaînes et de s’exprimer à travers toutes sortes d’expressions humaines, – à travers l’art, en l’occurrence.
Les femmes ne furent pas seulement des spectateurs, elles firent partie intégrante de la révolution intellectuelle, et nombre d’entre elles occupèrent une place importante dans le nouveau soulèvement artistique. On peut citer quelques exemples de femmes précurseurs qui affirmèrent leur talent au même niveau que leurs homologues masculins et qui marquèrent le début d’une singulière voie artistique féminine, – ce qui ne fut pas toujours une croisière en eau douce :

Iqbal Karesly (1925-1969) : cette artiste syrienne autodidacte a connu une belle carrière artistique, malheureusement une vie très courte. Karesly n’a pas étudié l’art et se marie à l’âge de 15 ans. Elle a voyagé d’un endroit à l’autre en Syrie, d’abord avec son père qui était enseignant, puis avec son mari, pour s’installer pendant de nombreuses années à Palmyre. A chaque étape de sa vie itinérante, elle peint des paysages, des natures mortes et des portraits. Très prise par sa vie familiale, elle décide d’étudier l’art par correspondance dans une école de beaux-arts au Caire en Egypte, pendant deux ans (1956-1958). Karesly a été la toute première femme de Syrie à avoir une exposition solo, et ce, à l’International Modern Art Gallery, la première galerie d’art fondée à Damas. Elle est décédée en 1969 à Damas en raison d’une intoxication chronique au plomb – à cette époque, les couleurs et les pigments utilisés pour la peinture contenaient une teneur élevée en plomb. Elle a eu le courage d’assumer sa passion dans des circonstances difficiles et d’aller de l’avant en dépit des divergences sociales envers l’art.


Zouhaira Alrez : née à Damas en 1938, elle est diplômée en beaux-arts au Caire en 1963. Ses peintures étaient les récits visuels de ce qu’elle aimait : la nature, les portraits et sa ville de Damas. La figure de la femme fait fréquemment partie de ses compositions. Pour elle, « une femme est comme un arbre; ses racines sont fixées dans la terre et ses branches se lèvent haut dans le ciel comme une prière, ses fruits et ses fleurs diffusent des parfums et nourrissent la vie avec le beau et l’essentiel ». Elle a vécu en Europe pendant de nombreuses années où la lumière de son pays lui manquait souvent. Le déracinement qu’elle a enduré loin de sa terre natale a influencé ses peintures plus tardives, où l’on peut toujours distinguer certains « éclats » de jaune symbolisant sa nostalgie pour le Soleil du Moyen-Orient.

Leila Nseir : née en 1941 à Latakié, elle est une personnalité importante de la scène artistique contemporaine syrienne. Nseir a été et est toujours liée aux êtres humains et à leur souffrance. Outre le traitement de thèmes universels comme « les femmes et la guerre » ou « le racisme », ou encore un thème humain international comme « le Vietnam », elle peint et dessine l’être humain à travers ses crises spirituelles. Elle a toujours été préoccupée par les échecs de la société et a toujours été désireuse de créer un niveau de conscience constructif à l’intérieur de l’esprit des citoyens. Les portraits peints par Nseir ont souvent un regard profond focalisé sur le spectateur ou sur l’air ambiant, fixant tout et rien à la fois. Les lignes de Nseir sont droites et croisées, comme des milliers d’émotions traversant l’âme. Elle utilise une palette de couleurs à l’attirante graduation de nuances pour guider le spectateur à se concentrer sur certaines parties spécifiques de ses peintures.
La nature transgressive de ses autoportraits est multiple. Elle soustrait les apparences – ce qui est réalisé par un manque de teintes chaudes -, implique l’image d’un corps qui se meure ou d’une femme qui tente de se libérer d’un environnement restrictif. La liberté des femmes n’a jamais été une préoccupation première dans ses peintures, puisque cela était quelque chose de déjà complètement normal pour elle, et c’est la raison pour laquelle elle était déterminée, en tant qu’artiste, à être reliée aux thèmes humains communs ou universels. Nseir est toujours active en Syrie de nos jours et encourage tous les mouvements artistiques et les événements en dépit de la guerre actuelle.

Asma Fayoumi (née en 1943): elle est la première peintre abstraite et expressionniste de Syrie. Elle n’a jamais été intéressée à montrer des détails de silhouettes clairement définies, mais plutôt la connexion entre les couleurs et les espaces qui expriment des émotions à l’intérieur de celles-ci. Elle n’a jamais peint de « compositions féminines tendres », mais elle a utilisé des abstractions et des topographies psychologiques pour exprimer son message sur les droits des femmes. Asma Fayoumi occupe une place plus que respectable au sein de la scène artistique contemporaine syrienne.
Eleonora Al Chatti (1913-2006) : il est indispensable de se souvenir de cette grande artiste. Eleonora était une citoyenne américaine amoureuse d’un médecin syrien qu’elle a épousé avant de venir vivre en Syrie avec lui et de s’impliquer, avec ses peintures à l’huile, dans le nouveau mouvement d’art moderne. Fascinée par le Moyen-Orient et son mode de vie, son art est une expression de la vie quotidienne dans un pays qu’elle a fait sien grâce à son histoire d’amour.

D’autres femmes syriennes talentueuses ont pu affirmer leur style artistique et devenir une partie intégrante du mouvement artistique moderne des années 1960. On peut nommer Hind Zelfe (1942) et ses silhouettes de rêve, Lamis Dawashwali (1935) qui valorise la beauté des femmes syriennes dans ses peintures à l’huile, Loujainah Alassil (1946) qui est la devancière des illustrations pour enfants, ainsi que la peintre expressionniste Hala Mahaini (1946).
Ces premières générations de femmes artistes syriennes ont préparé une nouvelle voie créative pour les autres femmes en Syrie; elles ont été une véritable source de motivation au cœur d’une énorme expression féminine dans la société syrienne.

Malheureusement, au cours des années 1980, la société syrienne a commencé à devenir moins ouverte et s’est retournée vers des considérations religieuses et des vieilles traditions héritées de l’occupation ottomane. La confrontation entre les idéologies politico-religieuses et la laïcité du gouvernement socialiste autoritaire en Syrie, qui s’est traduite par la violence, des assassinats et des attentats à la bombe, a accentué le fossé entre les composantes sociétales séculaires et religieuses et a ainsi inhibé la progression de l’art en général, et plus particulièrement de l’expression féminine.
Dans ce climat particulier, la pose de femmes nues comme modèles s’arrêta brusquement dans les facultés des beaux-arts de toute la Syrie vers 1985, mais les artistes syriens continuèrent à peindre des modèles nus en séances privées ou à partir de leurs expériences personnelles. La raison officielle donnée par les facultés était que cela était devenu « trop coûteux de payer un modèle », mais en réalité, la mentalité dans la société se transformait pour devenir plus hermétique et plus religieuse. Surtout après le conflit sanglant entre le gouvernement et les « Frères musulmans », il était difficile de défier encore plus les parties traditionnelles de la société. Il ya cette histoire du grand artiste Fateh Al Moudaress qui a demandé à ses étudiants de dessiner une girafe. Il a été très surpris de voir que tous les étudiants avaient dessiné une girafe sans tête, puis il a appris que c’était à cause du « professeur de religion » qui avait dit aux étudiants que dessiner une girafe entière était défier Dieu !

« Il n’en va pas de la religion, il en va des dignitaires religieux », dit le sculpteur Mustafa Ali, «Dieu sait que l’art est le culte de la beauté et il connaît vos intentions quand vous dessinez ou sculptez un homme ou une femme nu ».
Beaucoup d’artistes ont dû changer la vision qu’ils avaient d’un corps nu et plus précisément d’une femme nue, afin de satisfaire le marché arabe, en particulier les États arabes extrêmement conservateurs du Golfe Persique, qui, par ailleurs, ont découvert l’art que très récemment.
Après une période florissante entre les années 1960 et 1970, les femmes artistes en Syrie, comme dans de nombreux autres pays arabes, ont dû affronter de nouvelles désillusions politiques et des limitations d’expression. Les femmes syriennes, en général, ont pu insister sur leurs droits et rester impliquées dans des actions sociales et politiques, mais de nouvelles règles sociales mises en place par le régime, dans le cadre de lignes rouges et une mauvaise économie, ont commencé à limiter de plus en plus et à reconditionner la liberté d’expression des femmes, en leur imposant à nouveau une vision fermée et un espace rétréci. Pourtant les femmes syriennes ne sont pas soumises; malgré tout, de nombreux nouveaux noms ont pu affirmer leur identité artistique et même aller plus loin en testant de nouveaux domaines, tels que la sculpture et la poterie.
Les femmes qui ont résisté à la répression et qui ont confirmé leur place dans la société étaient aussi des enseignantes dans les écoles et les facultés qui avaient des responsabilités administratives liées aux domaines artistiques, certaines ont même pu trouver quelques centres artistiques pour s’y développer.
En raison d’un éveil économique et d’une floraison artistique qui ont eu lieu dans les années 2000, le talent de ces générations de femmes artistes des années 1980 et 1090 a pu éventuellement être pleinement reconnu. Après l’organisation d’événements culturels dans les centres d’art et les galeries dans le pays même et à l’étranger, les artistes syriennes ont commencé une nouvelle évolution, au cours de laquelle certaines femmes talentueuses ont pu gagner une reconnaissance artistique de premier plan.

Rima Salamoun (née en 1963) : est l’une des artistes syriennes de renom qui a commencé sa carrière au cours de ces ambitieuses années entre 1980 et 1990, pour se distinguer après 2000 avec un style particulier. Ses peintures montrent des visages expressifs et des corps nus introvertis, et mettent en évidence la conscience humaine dans tous ses différents états d’esprit. Les détails des visages disparaissent comme si l’expérience de vie supprimait une partie des linéaments. L’art de Salamoun est universel et impose une réflexion sur la perte, l’absence et la mort.

Comme le printemps, la vie est parfois courte. Nawar Nasser (1963-2008) n’a plus été en mesure de continuer à créer; elle a dû lutter contre la maladie avant de quitter ce monde. Pourtant, ses tableaux lumineux de lumière, tels un appel à une autre vie, restent dans la mémoire de l’art syrien, et dans le cœur de son partenaire, le grand artiste Safwan Dahoul, qui récemment a consacré une exposition à son hommage.
Née en 1959, l’artiste Khouloud Sibaï (nièce de Louay Kayyali) a réinventé les arabesques dans ses compositions, qui sont pleines de nostalgie pour Damas et Alep, ses deux villes bien-aimées. Ses tableaux résument la distance et le temps, puisqu’elle elle a dû vivre loin de la terre natale, et donnent une aura pleine d’innocence sur les couleurs et les détails de son pays. Il est rare de reconnaître dans les échos visuels d’une peinture les cris et les peines cachés d’un artiste.

Souad Mardam Bey est l’artiste du Moyen-Orient par excellence. Elle est née à Damas, a grandi à Beyrouth et vit actuellement au Caire. Mardam Bay cherche l’harmonie dans ses peintures, mais n’essaie jamais d’imposer une vision ou une émotion aux spectateurs. Souvent dans une atmosphère orientale et un décor traditionnel révisés, les regards de ses portraits chuchotent des émotions, qui reflètent non seulement l’état d’esprit de l’artiste mais aussi celui du spectateur. Dans son exposition « Jouer sans Jouets », l’artiste répand sa tendresse sur le thème de l’enfance, en particulier sur les enfants syriens : les yeux grands ouverts, ses personnages sont blessés, mais elle préfère leur donner une note d’espoir avec des vêtements colorés. Dans le contexte de la guerre, il ne faut pas oublier combien l’enfance est belle et combien elle doit être protégée pour maintenir l’espoir pour les générations futures.

Sara Shamma, née à Damas en 1975, est l’une des artistes féminines les plus renommées et talentueuses de sa génération. Elle a décidé de consacrer son temps à l’art dès l’âge de 14 ans. En 2012, elle a été contrainte de quitter Damas et de se déplacer à Beyrouth, au Liban, après qu’une voiture piégée ait explosée tout proche de sa famille. Avant cette époque, elle était impliquée dans l’éducation artistique et les activités artistiques en Syrie. L’art de Sara Shamma est singulier. Elle dessine des mouvements d’émotions et intensifie les expressions par des distorsions, souvent à travers des représentations principalement d’elle-même ou de ses enfants, tout en se concentrant aussi sur la figure humaine en général, comme son sujet de prédilection. Hormis ses multiples autoportraits, Sara ne peint que des personnages fictifs, néanmoins leurs émotions, circonstances et caractéristiques de vie appartiennent à la réalité. Quand elle parle de la mort dans ses peintures, c’est parce que celle-ci donne un sens à la vie. Dans une de ses peintures, elle caresse un crâne humain, comme si elle voulait dorloter de façon maternelle ceux tombés à la guerre. L’opinion de Sara sur la place de la femme dans la société : « Si une femme n’a pas confiance en elle-même, il est facile pour la société de la nier, mais si elle a une confiance réelle, elle sera parmi les meilleures. »

Si l’art est aussi intelligence du cœur, telle est aussi l’inconscient émotionnel caché derrière l’art naïf d’Aicha Ajam Mouhanna. Originaire d’Alep en Syrie, mère de plusieurs fils artistes, elle avait 85 ans quand l’un de ses fils a découvert son talent. Durant sa vie, dans une tentative de combattre la pauvreté, elle avait l’habitude de créer des choses utilitaires en recyclant des tissus et des objets pour faire de belles décorations. La mythologie et l’histoire, comme les histoires traditionnelles de la Syrie et du monde arabe, étaient les sources d’inspiration de cette dame qui mérite grand respect. Elle a commencé par traduire ses souvenirs sur papier, et il a fallu 85 ans de sa vie pour que son talent soit reconnu. Sa carrière artistique a duré 5 ans et a été pleine de créations et d’expositions dans les centres culturels. « Madame Picasso », telle nommée par les journaux, est décédée en 2006 à l’âge de 90 ans, laissant derrière elle un beau patrimoine artistique, malgré sa précarité matérielle. Il demeure un exemple de l’énergie artistique qui peut naître de l’âme, et la preuve qu’il n’y a pas de limite d’âge pour être créatif.

Diana Al Hadid est un exemple éloquent : née à Alep en 1981, elle a quitté la Syrie avec sa famille à l’âge de 5 ans et a grandi aux Etats-Unis. A l’âge de 11 ans, elle savait déjà avec certitude qu’elle voulait devenir artiste. Elle a étudié les beaux arts dans l’état de l’Ohio et est maintenant établie avec succès à Brooklyn (NYC). En utilisant des matériaux industriels, l’artiste syro-américaine crée des sculptures et des installations qui ressemblent à des travaux inachevés ou à des constructions en cours de finalisation. Dans une partie de son œuvre, l’influence du Moyen-Orient est évidente, recherchant la base de ses constructions dans ses propres racines et dans les racines de l’humanité de sa terre natale. La double culture lui permet de créer un lien entre les différentes civilisations de l’Orient et de l’Occident, et même entre des constructions anciennes et des compositions futuristes. Les femmes syriennes qui vivaient dans la Diaspora avant la guerre actuelle ont créé une génération d’artistes syriennes nées dans le pays mais grandissant à l’étranger. La rencontre entre deux cultures différentes est certainement une valeur ajoutée à leur créativité et à leur talent.
Bien qu’étant issues de milieux différents et ayant des opinions politiques différentes, les jeunes générations de femmes artistes syriennes restent totalement liées à leur terre natale, peu importe l’endroit dans le monde où elles vivent et créent. Les générations plus jeunes nées en Syrie au cours des années 1980 et 1990 ont apporté une grande sélection de femmes artistes distinguées. Etant entièrement connectée au Web et habituée à toutes les nouvelles technologies, la scène artistique syrienne est devenue ainsi pleine de touches féminines. Diplômées des écoles classiques de beaux-arts ou d’autres nouveaux instituts d’arts appliqués, les femmes syriennes enrichissent l’art syrien contemporain de par leurs peintures, sculptures, photographies, collages et art numérique.

L’œuvre de Reem Yassouf se concentre sur les enfants de Syrie comme un thème universel. Documentant la période actuelle, les peintures de l’artiste se caractérisent par des fuites de couleurs pour exprimer la souffrance des enfants dans cette guerre sans fin avec des nuances de gris. Même si l’artiste pense que des couleurs plus vives seraient un contre-sens pour dépeindre les combats pour la vie et les conséquences de la guerre chez les enfants, l’œuvre de Yassouf insiste sur le droit des enfants à l’espoir et à une vie décente, en les peignant, tels des silhouettes grises essayant de jouer avec des cerfs-volants et d’observer un envol d’oiseaux.

Les compositions de Sarab Alsafadi éclairent souvent la vie quotidienne des femmes. De manière subtile et avec des couleurs mates, elle représente, dans ses silhouettes surréalistes aux visages peu détaillés, toutes les femmes dans les pays arabes avec leurs soucis et leurs inquiétudes. Globalement grise, l’atmosphère est souvent soulignée de taches de couleurs vives, apportant ainsi une note d’espoir.

Après avoir vécu la migration vers l’Europe par la périlleuse traversée de la mer Méditerranée sur un bateau de migrants, Yara Said, diplômée de la Faculté des Beaux-arts de Damas, est arrivée récemment à Amsterdam. Dans son art, cette jeune femme d’une grande beauté utilise des peintures acryliques, de l’encre, du charbon de bois, des collages ou d’autres techniques pour exprimer ses émotions. Elle travaille maintenant avec une société de réfugiés aux Pays-Bas en tant que conceptrice, coordinatrice et peintre. Said a conçu le drapeau pour l’équipe olympique de réfugiés qui a participé aux Jeux Olympiques de 2016 à Rio. Rappelant le gilet de sauvetage porté par les migrants qui tentent de traverser la mer Méditerranée, les couleurs noire et orange du drapeau sont censées être un symbole de solidarité et d’espoir.


Tania Al Kayyali est une jeune artiste multi-talentueuse née à Damas en 1985 où elle est diplômée de la Faculté des Beaux-arts. Vivant aujourd’hui à Berlin, elle appartient à la nouvelle diaspora artistique syrienne vivant au sein de la scène artistique berlinoise. Tania Kayyali est une artiste visuelle atypique qui est à la fois peintre, illustratrice, artiste numérique et graphiste.

Le fait que ses œuvres psychédéliques colorées recèlent une multitude d’autoportraits n’a rien de narcissique ou d’égotiste, mais correspond davantage à l’identification d’émotions profondes et les diverses facettes d’une personnalité désireuse de faire partie intégrante du monde et de l’humanité. Elle a également travaillé comme traductrice pour l’organisation « Crise des réfugiés et des migrants en Europe». Croyant à la capacité de l’éducation à changer notre avenir, Tania a créé de nombreuses illustrations et œuvres pour les enfants.

Il n’est pas rare de trouver des femmes photographes arabes et syriennes, mais peu sont celles qui explorent le côté conceptuel de la photographie comme un art offrant de nombreuses possibilités. Ala Hmedy est l’une de ces photographes qui est à la recherche de son « autre moi ». Elle tente de lutter contre ses propres perturbations en les explorant et en les présentant dans une sorte de stades psychotiques, où son visage et son corps deviennent une partie de la scène et introduisent l’émotion. Si sa performance et son auto-exposition nous rappellent quelques-unes des photographies de Francesca Woodman, l’art de Hmedy reste distingué et plein de promesses d’un brillant avenir artistique pour cette artiste qui voudrait « pouvoir contribuer positivement et de manière critique dans le débat d’après-guerre du pays, dans la reconstruction des efforts dans les affaires publiques et dans la construction d’une société démocratique critique pour laquelle la création et la production artistiques sont essentielles. »

Julie Nakazi vit encore à Damas, en Syrie. En plus d’être graphiste, elle est aussi peintre et artiste numérique. Son travail examine de manière critique la domination des médias sociaux dans la vie de chacun et le narcissisme croissant des êtres humains. Elle ne parle que rarement de la guerre, parce qu’elle la vit quotidiennement, et peut-être aussi comme une sorte de protection personnelle ou comme une façon de dire qu’à l’intérieur du pays, les gens pensent non seulement à la mort et aux bombes, mais sont encore reliés, autant que possible, au monde.

Noor Bahjat Almasri est peut-être l’un des plus singuliers talents féminins de sa génération. Le peintre, qui a dû quitter sa ville bien-aimée de Damas pour s’établir à Dubaï, a choisi comme thèmes de prédilection dans son oeuvre « la femme et la famille ». Elle dénonce toute sorte de chaînes imposées aux femmes et défend, en tant que jeune femme libérée, la liberté totale d’expression et le libre arbitre pour les femmes de choisir leurs propres directions, quel que soit le type de société. Dans sa dernière exposition intitulée « Which One Is Your Thread »
(lequel est ton fil), Noor se concentre sur une notion sociétale très contemporaine qui stipule que même si nous sommes tous toujours et partout virtuellement connectés, nous n’avons jamais été autant isolés.
Les portraits de femmes peints par Aula Al Ayoubi sont énigmatiques, glamoureux et théâtraux. Avec une aisance naturelle, Al Ayoubi capture sur la toile les femmes emblématiques du Moyen-Orient avec un sens remarquable de l’équilibre et de l’harmonie entre les lignes fermes et les couleurs.


Shaza Askar transfère son expérience humaine dans ses tableaux pour partager l’intimité des émotions et des sentiments à travers des lignes simples et des visages expressifs.
La jeune Huda Takriti questionne l’influence des médias sur notre perception de la réalité, tandis que les illustrations de Maryam Samaan sont le miroir de ses émotions jetées sur la toile sous forme de cercles concentriques inspirés de sa vie quotidienne.
Nagham Hodaifa peint les mouvements de ses expressions colorées, dans ses tableaux les visages sont cachés ou entachés pour rappeler l’essence de l’âme et son importance par rapport à la domination du culte de l’apparence.
Eman Nawaya, qui vit actuellement à Beyrouth, au Liban, continue de créer des silhouettes inspirées de la société et des dialogues colorés entre corps et âmes. Nawaya traite l’essence originelle, la créature humaine, et la relation complexe entre les hommes et les femmes dans les sociétés arabes et du Moyen-Orient.

De nombreuses initiatives ont été prises par les femmes syriennes pour utiliser l’art et la culture contre la mort et la destruction. Conscientes que personne ne peut lutter contre la mort, elles ont transformé cette réalité en opportunité pour aller de l’avant, de ne pas se contenter d’une simple survie, mais d’une vie pleinement vécue, tentant de la rendre encore plus belle et colorée. Amira Malek, par exemple, a lancé le projet « Murs de la Paix » : dans de nombreuses villes, les professeurs d’art des facultés des Beaux-arts se rendent dans la rue avec leurs étudiants pour peindre les murs de la ville avec des couleurs vives.

Ce qui est surprenant de constater dans l’expérience de l’art syrien, c’est comment les femmes ont pu inventer une identité artistique distincte et distinguée, au-delà des limites et des obstacles, surtout récemment malgré la guerre à l’intérieur du pays et la Diaspora forcée. Si les femmes trouvent leur place parmi les artistes professionnels syriens et arabes de renom, leur art demeure singulier tout en surpassant toutes les barrières sociales et traditionnelles. Elles ont élargi leurs créations en dehors des méthodes classiques vers l’art abstrait, l’art numérique et l’art conceptuel, sans négocier le sens de l’esthétique et aborder, non seulement des thèmes nationaux ou régionaux, mais aussi universels.
En Syrie nous croyons que chaque matin est né de la caresse d’une femme. Dans cette partie de la terre où la civilisation humaine a commencé, et malgré la guerre actuelle et les idéologies régressives, la femme reste supérieure par le pouvoir de ses émotions et de sa présence divine dans la vie banale d’un homme. Dans cette région qui a vu naître les religions et les dieux, les cheveux d’une femme dans le vent transforment l’histoire de l’homme, ses pas font bouger les montagnes pour construire les villes et l’histoire, et dans les plis de sa robe toute l’histoire du Levant est écrite.
Dans l’art, les femmes syriennes sont la voix de la sagesse et de l’espoir. Telles les Roses de Damas qui répandent un parfum incomparable, elles répandent un message de paix et une réflexion sur la nécessité de commencer des réformes plus profondes par une révolution contre le sexisme, le sectarisme et la médiocrité, afin de construire une société basée sur des valeurs humaines réelles : La Révolution des Roses. A l’intérieur et à l’extérieur du pays, elles brillent avec leurs créations, défiant la mort et l’exil avec la puissance de leurs lignes, tout en dessinant, avec la complicité des couleurs, des sentiers remplis des rêves de demain.
Lettre à l’Homme Armé
Par Nizar Kabbani, Poète syrien (1923-1998)
Texte écrit durant la guerre civile du Liban en Mai 1978
Sélection et traduction de l’arabe : Khaled Youssef
Editing : Danii Kessjan

Cher homme armé,
Ne sois pas étonné si je m’adresse à toi avec le mot « cher » ! Je ne puis te haïr, puisque la haine n’est pas ma conviction.
Peut-être m’as-tu tué, ou tué l’un de mes enfants. Peut-être as-tu éteint le soleil, la lune et la vie…
Mais moi, malgré cette grande tristesse qui remplit mes jours, et malgré cette peur qui fait désormais partie de ma vie, je ne puis te haïr…
La haine n’est pas ma conviction.
Cher homme armé,
Je t’envoie cette lettre de remerciement et d’adieu, car il est temps pour toi de prendre congé, et il est temps pour nous de retrouver nos vies perdues.
Je ne connais ni ton vrai nom ni ta provenance,
Mais soudainement, tu as oublié que nous étions frères ;
De ta mémoire, tu as effacé la fraternité ;
Entre toi et moi, tu as mis le fusil, et tu as appris à me parler avec un langage nouveau : celui de la violence !
Ce langage est le seul au monde qui ne connaisse ni règles ni racines ni alphabet ! Pas besoin d’école pour l’apprendre, le rechercher dans les livres est chose vaine ! Il n’existe que dans les dossiers des marchands d’armes !
Je n’ai pas l’intention de te juger, mais une question me brûle les lèvres :
Es-tu heureux ? Es-tu satisfait de ce que tu as fait ?
Est-ce que la destruction de ma maison t’a-t-elle aidé à construire la tienne ?
Est-ce que ma mort a-t-elle prolongé ta vie ?
Si ma mort t’a apporté le bonheur, alors je suis prêt à mourir à nouveau !
Si la faim de mes enfants a permis aux tiens d’être rassasiés, alors la distribution était juste !
Cependant, un calcul rapide me permet de percevoir que ta perte est proportionnelle à la mienne, et ta mort comparable à la mienne.
Tu as cru m’éliminer avec ton arme, m’effacer, m’annihiler ! Tu as voulu changer l’acte de propriété de cette terre qui était mienne, afin d’y apposer ton nom…
Mais que vas-tu faire de cette vaste et belle terre si tu es… SEUL ?
Que vas-tu faire de la mer, la neige, la pluie, les champs de cerisiers et les vignobles, si tu es… SEUL ?
Comment vas-tu survivre dans un pays où la seule chose que tu entends est l’écho de ta propre voix, et où la seule chose que tu vois est le reflet de ta propre image dans les eaux de ses puits ?
Ne crois-tu pas qu’il y ait suffisamment d’eau, de lumière, et de pain dans ce monde pour toi et pour moi ?
Tout pays idéal dont tu rêves sera artificiel, faux, sans goût ni couleur, si tu ne le partages pas avec moi…
Ta place à notre table est encore vide, alors laisse ton arme dehors et viens t’asseoir avec nous,
Nous avons beaucoup de pain, beaucoup d’amour, et quelques nouveaux poèmes que je partagerai avec toi quand je te reverrai.
نزار قباني في « رسالة إلى مسلح »:

عزيزي المسلح: لاتستغرب أن أناديك: ياعزيزي.. فأنا لا أستطيع أن أكره، إن الكراهية ليست مهنتي..
ربما تكون قد قتلتني.. أو قتلت طفلاً من أطفالي.. أو تكون قد أطفأت الشمس والقمر والحياة..
ولكنني رغم هذا الحزن الكبير الذي يملأ أيامي.. ورغم هذا الرعب الذي صار جزءاً من حياتي اليومية.. فإنني لا أستطيع أن أكرهك، فالكراهية ليست مهنتي.
عزيزي المسلح: أبعث إليك بهذه الرسالة شاكراً.. مودعاً.. فقد جاء الوقت الذي يحق لك فيه أن تأخذ إجازة.. ويحق لنا فيه أن نسترد أعمارنا الضائعة..
إنني لاأعرف اسمك الحقيقي.. ولاعنوانك الحقيقي.. فجأة نسيت الخبز والملح والعشرة الطيبة، وطويت بساط المودة، ووضعت البارودة بيني وبينك، وبدأت تكلمني بلغة أخرى هي لغة العنف.
لغة العنف هي اللغة الوحيدة في العالم التي ليس لها قواعد ولا أصول.. ولا أبجدية.. ولا يضطر المرء كي يتعلمها للذهاب الى المدرسة.. ثم هي لغة غير موجودة في الكتب والقواميس، وإنما هي موجودة فقط في ملفات تجار السلاح.
ليس في نيتي أن أناقشك.. أو أحاسبك، ولكنني اكتفي بسؤالك: هل أنت سعيد بما فعلته..؟!
هل ساعدك هدم بيتي على تعمير بيتك..؟!
وهل أدى موتي إلى إطالة حياتك..؟!
إذا كان موتي قد حقق لك ربحاًَ، فأنا مستعد أن أموت مرة ثانية.. وثالثة.. ورابعة.. وعاشرة حتى تصير حياتك أطول وأجمل..
وإذا كان جوع أطفالي قد أدى شبع أطفالك، فإنني أعتبر التعويض عادلاً.. ولكن جردة سريعة لحساب هذه الحرب تثبت أن خسارتك تعادل خسارتي، وموتك بحجم موتي.. وبدلاً من أن يزداد عدد أولادي، وعدد أولادك ويكبر الوطن..
كنت تظن أنك بالسلاح تلغيني.. وتسجل هذا الوطن في الدوائر العقارية باسمك وحدك.. ولكن.. ماذا تفعل بكل هذا الوطن الجميل وحدك؟! تخزنه ؟ تقدده..؟ تنقعه وتشرب ماءه..؟!
ماذا تفعل بالبحر، والثلج والمطر، والحبق وبساتين اللوز والتفاح وعرائش العنب؟!
ألا تعتقد أنك ستفجر وحدك في وطن لاتسمع فيه إلا صوتك، ولاترى في ماء ينابيعه إلا وجهك..؟
ألا تعتقد أن سمك البحر، وغلة البيدر، وخبز التنور وضوء الشمس، وعيون النساء، تكفيك وتكفيني.. إن أي وطن تحلم به، سيكون وطناً كيميائياً، اذا لم أسكن فيه.
إن كرسيك على المائدة لا يزال خالياً، فاترك بارودتك خارج الغرفة، واجلس معنا… فلدينا خبز كثير.. وحب كثير.. وقصائد جديدة سأنشدها لك عندما نلتقي.